L’IA et recrutement : entre promesses technologiques et réalités humaines
[ETUDE] L’intelligence artificielle, ou IA, est connue et reconnue par tous. Dans le recrutement, ce ne sont pas moins de 84%* des recruteurs, tous secteurs confondus, qui en ont entendu parler. Qu’en est-il de leur utilisation de cet outil ? Qu’en pensent-ils ? Imaginent-ils l’IA comme un allié, un partenaire ? Ou, au contraire, comme un remplaçant ? Emploi Public et La Gazette des Communes, en partenariat avec l’Usine Nouvelle et Le Moniteur, ont mené une étude en ligne du 28 avril au 3 juin.

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Une volonté d’adhésion grandissante de l’IA
Parmi les recruteurs interrogés, 49,4% d’entre eux envisagent d’utiliser plusieurs outils intégrant l’IA, dont 33% projetant une adoption dans l’année. Et pour cause, ils y voient de nombreux avantages :
- Gain de temps (73%)
- Automatisation des tâches (55%)
- Meilleur matching candidat-poste (38%)
Les recruteurs qui ont testé l’IA l’ont majoritairement adoptée, notamment pour des tâches simples mais chronophages : tri et notation de CV (34%), sourcing de candidats (31%) ou rédaction d’offres d’emploi (66%). Ces usages leur permettent de se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée. Aurélie Marfort, Responsable Recrutement et Marque Employeur d’Orano confirme : « l'IA apporte dans le métier du recrutement des outils, ce qui va permettre aux recruteurs de se délester de tout un tas de tâches rébarbatives, administratives à faible valeur ajoutée » pour se concentrer sur « la relation avec le manager, la connaissance des métiers, l'expérience candidat, la relation avec le candidat ».
Comment est utilisée l’IA aujourd’hui ?
L’intelligence artificielle est, pour l’heure, majoritairement utilisée pour améliorer l’expérience candidat. Les recruteurs utilisent :
- Un ATS (outil de tracking de CV) : 52%
- Les messages automatisés : 32%
- Des chatbots : 31%
- De l’analyse de la correspondance des CV : 25%
- Des entretiens vidéo analysés par IA : 8%
Les candidats aussi ont conscience de l’utilisation de l’IA par les recruteurs lorsqu’ils candidatent à une offre. Ils perçoivent lorsqu’une entreprise leur envoie une réponse automatisée suite à une candidature (67,4%), remarquent lorsqu’on leur annonce que leur CV est plus ou moins compatible avec une offre d’emploi (46,1%). Ils sont près d’1 sur 2 à avoir discuté avec un chatbot ou assistant virtuel durant les processus (45,4%), mais sont très peu à avoir été confrontés à des entretiens vidéo analysés par IA (17%). Au final, ils se disent très peu informés par les recruteurs (15%) lorsque ceux-ci utilisent l’IA dans les processus de recrutement…
Un manque cruel de formation à l’IA
Malgré une réelle volonté de s’emparer du sujet, les difficultés liées à la mise en œuvre, à l’usage et à l’intégration de l’IA restent importantes. Seuls 17 % des recruteurs l’utilisent.
La première difficulté rencontrée par les recruteurs, et pas des moindres, concerne la formation. Comme il s’agit d’un outil encore récent, celui-ci n’est pas accessible à toutes les bourses (15% manquent de budget) et peut ralentir les formations. D’ailleurs, 70% des recruteurs affirment ne pas être suffisamment, voire pas du tout, formés à l’utilisation de l’intelligence artificielle.
Pour pallier les potentiels coûts et les apprentissages parfois long, l’équipe d’Aurélie Marfort a mis en place une « acculturation » de toutes les équipes recrutement. Ainsi, elle a introduit le sujet de l’IA auprès de ses équipes et leur a montré les bases : le prompt, comme s’ils s’adressaient à un collaborateur.
L’introduction de l’IA rencontre un autre frein : le bon vouloir des décideurs quant à son utilisation. Dans la fonction publique, comme le rappelle Steve Krief, Directeur des Ressources Humaines (DRH) de Villejuif et représentant de l’ANDRHDT, « chaque collectivité va avancer à son rythme, selon son niveau d’intérêt (et politique) pour l’intelligence artificielle. » Par exemple, les villes de Montpellier et Rennes se sont d’abord penchées, en 2023, sur des « stratégies données » avant de se lancer sur l’IA. A l’inverse, la ville d’Arcachon a décidé d’offrir Chat GPT aux habitants. Tandis que la ville de Villejuif, elle, s’est emparée du sujet seulement fin 2024.
IA : des freins qui ont la vie dure
Être totalement remplacé par la machine
Qui dit intelligence artificielle, dit « non humain ». Et les recruteurs ont des craintes bien fondées. Près de 3 recruteurs sur 4 craignent que l’IA déshumanise le recrutement (76%) et, par manque de vérification humaine, ne sache pas lire correctement les profils atypiques (71%), entraînant une moins bonne fiabilité des résultats (57%).
A l’heure où l’on voit des suppressions de postes à cause de l’IA, en particulier dans les métiers créatifs et littéraires (rédacteurs, graphismes), les RH ont également des craintes quant à leur poste, où il est si simple de converser avec une intelligence artificielle.
Quid des données personnelles ?
Qui dit numérique dit RGPD (règlement général sur la protection des données) et utilisation des données personnelles. À l’heure où la donnée personnelle est précieuse, candidats (30,9%) comme recruteurs (51%) se questionnent sur la confidentialité de l’IA. À cela s’ajoute une réglementation en constante évolution, comme l’IA Act, et un manque de transparence sur l’usage des données, qui suscite de nombreuses interrogations.
En résumé, les recruteurs sont curieux de l’IA. Ils souhaitent la considérer comme un assistant, un partenaire pour des tâches à faible valeur ajoutée, dans le but de se recentrer sur leur cœur de travail : l’humain, le recrutement, les relations, l’expérience candidat. Néanmoins, le manque de formation les freine quant à l’utilisation des outils.
Malgré cette envie d’être assisté par l’IA, des craintes fortes persistent, comme le remplacement de leur métier par une machine qui ferait l’entièreté du travail à leur place. Mais l’avenir semble positif, puisque 3 recruteurs sont 4 s’accordent à dire que l’IA deviendra un outil incontournable d’ici 5 ans (72%) et qu’il transformera significativement les pratiques (42%).
Étude : L'IA au service du recrutement
Étude en ligne réalisée du 28 avril au 3 juin 2025. Échantillon : 471 recruteurs du public et du privé.
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