Attentats : les hôpitaux militaires sur le front
Lors des attentats qui ont frappé le coeur de la capitale le 13 novembre 2015, les hôpitaux militaires de Begin et Percy, dans la région parisienne, ont été en capacité d'accueillir les victimes en une heure environ. Retour sur la mobilisation de soignants formés à la médecine de catastrophe.
Dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015, pas moins de 350 victimes sont prises en charge par les hôpitaux franciliens. Les hôpitaux civils de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et les deux hôpitaux d’instruction des armées de la plateforme hospitalière militaire Ile-de-France. Particularité : ces soignants militaires ont une certaine habitude des blessures de guerre. Mais ce soir-là, la situation est inédite : attentats au cœur de la capitale, cinétique rapide et grand nombre des victimes.
16 heures. Hôpital d’instruction des armées de Bégin, à Saint-Mandé (Val-de-Marne). Sur le bureau du Pr Mehdi Ould-Ahmed, médecin en chef, chef du service d'anesthésie, des tas de dossiers. Il tire de l'un d'eux une longue liste. Des noms colligés cette nuit du 13 au 14 novembre. En face de chaque nom, un lieu : Bataclan, la Belle Equipe, Rue de Charonne…
Repères
Les hôpitaux militaires
Lors des attentats du 13 novembre, 52 blessés ont été accueillis dans les hôpitaux de Bégin, à Saint-Mandé, dans le Val-de-Marne, et de Percy, à Clamart, dans les Hauts-de-Seine. Ces hôpitaux militaires sont ouverts à tous les assurés sociaux. Les militaires ont dû répondre à 587 appels de familles ou de proches angoissés, au cours du week-end.
Cette nuit-là, le dispositif Orsan((Orsan : organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles)) a été mis en œuvre, avec sa déclinaison hospitalière, le plan blanc. Et les personnels vont vivre une situation inédite : 130 morts à l’arme de guerre. Ces attentats sont les plus meurtriers perpétrés en France depuis la Seconde Guerre mondiale et les seconds en Europe, après les 191 morts des attentats de Madrid du 11 mars 2004.
Il était 22 heures, on a reçu un appel de la régulation et des SMS.
"Il était 22 heures, cette nuit-là, je bouquinais, quand le réanimateur de garde me dit qu’il a reçu un appel de la régulation et des SMS, tous cohérents", explique le Pr Mehdi Ould-Ahmed. Et ces quelques mots qui donnent une idée de l'ampleur de la catastrophe : attentats, multisites, fusillades.
Le plan blanc est activé. Avec son chapitre "Maintien et rappel des personnels". "Nous nous sommes mis en capacité d’armer 5 salles d'opération en même temps, là où d'ordinaire une seule salle "tourne" la nuit, poursuit le professeur. "Le plan blanc, précise-t-il, est un document interne qui existe dans tous les établissements de soins. Il décrit les adaptations de l'organisation des hôpitaux face à une situation sanitaire exceptionnelle. Il prévoit notamment le rappel de Mar (médecin anesthésiste réanimateur), d’Iade (infirmier anesthésiste diplômés d'Etat), d’Ibode (infirmier de bloc opératoire) et d’autres catégories de professionnels de santé, essentielles pour la cohérence du disposif."
Ce document interne est adapté à la nature de la catastrophe et à son impact sanitaire. "Il peut s'agir d'une catastrophe naturelle, d'un acte de malveillance, d'un accident technologique ou d'un événement infectieux comme une pandémie grippale. Quatre scénarios différents. Là, nous étions face à un acte de malveillance."
35 blessés en 3 heures (hôpital Bégin).
Pour faire face à l'afflux de blessés par balles seront aussi appelés des chirurgiens et des médecins urgentistes séniors, doublés de personnels de radiologie, de biologie, etc. "Nous avons compté nos poches de sang, raconte le Pr Mehdi Ould-Ahmed, et sollicité un renforcement en appelant le centre de transfusion sanguine des armées. Ainsi, nous avons pu doubler le stock de sang quasi-immédiatement."
Vers minuit, les premiers blessés arrivent. En 3 heures, 35 blessés seront accueillis à Bégin. Au rez-de-jardin, l’accueil des urgences avait été réagencé, pour "trier et catégoriser" les blessés, afin de hiérarchiser et ordonnancer les gestes à prodiguer. "Nous ne sommes plus dans le cadre des urgences habituelles, avec des angines, entorses et des patients qui arrivent successivement. Nous sommes alors face à un grand nombre de blessés victimes de fusillades et d’explosions."
La logique terrible de la médecine de catastrophe.
Ce triage est une technique médicale systématiquement mise en œuvre en médecine de catastrophe et lors d’afflux de blessés de guerre en opérations extérieures (Opex). « Le bénéfice individuel est alors mis en perspective avec le bénéfice collectif".
Au micro de France 2, le professeur Denis Safran, chef du service anesthésie-réanimation de l’hôpital Georges-Pompidou, avait déclaré : "En 44 ans d’hôpital public, jamais vu cela, des gens gravement blessés jamais en aussi grand nombre […] nous sommes dans le cadre de la médecine de guerre, de la médecine balistique, avec un tri et des priorités pour sauver ceux qui sont "sauvables "… "La plupart des blessés avaient été traversés de balles, c’était horrible", raconte l’un des chirurgiens de l’hôpital Lariboisière. Mâchoires, crânes, yeux, membres touchés, égrène-t-il, en évoquant "un grand sentiment de désolation".
Cela ressemblait à une attaque contre des civils en zone de conflit.
On peut penser que les soignants des hôpitaux militaires ont l’habitude de cette médecine-là, et c’est juste. Nombre d’entre eux ont été en Opex; comme on dit dans le jargon militaire, en opération extérieure. Comprenez "en zone de guerre". Et pourtant, ce jour-là, il y aura deux spécificités : le nombre de blessés par unité de temps, et ce, quasiment sans préavis, à l’image d’un "débit instantané", et la localisation des lésions.
"Dans l’équipe, la plupart d’entre nous avaient déjà vu les lésions provoquées par des armes de guerre. Ce n'était pas le cas, en revanche, des jeunes collègues qui n'avaient pas encore été déployés en Opex. La formation commune et la cohésion de l’équipe ont été des facteurs de réussite essentiels.
Cependant, un tel "débit", ça, c'était nouveau pour moi. Dans un conflit, lorsque les troupes vont "au contact", les équipes médicales adoptent une posture d’alerte renforcée et les soldats français revêtent des effets de protection individuelle, dont le gilet pare-balles. Mais là, il s’agissait de civils avec des lésions du tronc, car sans aucune protection ; cela ressemblait à l'arrivée soudaine de victimes civiles en zone de conflit."
Malgré ces différences, l’expérience des hôpitaux militaires en médecine de guerre et la formation spécifique des personnels ont permis la prise en charge, sur le site de Bégin, de 35 victimes, dont 7 en urgence absolue (à opérer dans les 6 heures), dont 3 en arrêt circulatoire. Parmi ces dernières, deux personnes sont décédées après 6 heures de soins.
Désormais, comme dans les hôpitaux civils franciliens, ce sont les soignants qu’il va falloir aider. Comme pour les civils, des cellules d’écoute ont été mises en place, car ces événements laissent des traces.
"Ces traumatismes psychiques ont été décrits notamment lors de la guerre de 14-18, après le Rwanda, avec les charniers humains, ou en Afghanistan. Il ne faut pas oublier que les attentats du vendredi 13 peuvent aussi faire ressurgir un événement traumatique ancien." On pense aux sapeurs-pompiers (ceux de Paris sont aussi des militaires) qui ont déjà vécu les attentats de 1995 notamment.
Repères
Des plans d’urgence "auscultés"
Dès le 16 novembre 2015 au matin, pompiers, groupe médical du RAID, médecins et personnels hospitaliers ont commencé à mettre à plat les plans sanitaires d’urgence activés lors des attentats. Debriefing.
Pierre Carli, patron du Samu de Paris, déclare au journal "le Monde" : "En analysant très précisément tout ce qui avait été fait, on trouve des tas de pistes d’amélioration." Parmi ces pistes : gestion des priorités, blocs opératoires disponibles et répartition des blessés dans les hôpitaux.
Dans la revue britannique The Lancet, l’AP-HP déclare que les attentats n’ont pas été une surprise, en revanche "aucune simulation n’avait prévu un tel degré de violence". Des ajustements vont voir le jour. Les pompiers seront équipés de garrots que les blessés pourront poser eux-mêmes. Les policiers vont recevoir une formation en secourisme.
Une question reste en suspens : que ce serait-il passé si les attentats au stade de France n’avaient pas échoué, si un afflux supplémentaire de centaines de victimes était apparu cette nuit-là ? "Nous avions peu de réserves, déclare Fabrice Cook, du CHU Henri Mondor : "En Ile-de-France, la capacité de prise en charge hospitalière théorique est de 200 blessés graves simultanés", souligne Michel Nahon, du Samu de Paris.
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