Pierre Micheletti, un médecin qui cultive le goût des autres

L’homme est simple. Sa vie l’est beaucoup moins. Baroudeur, voyageur, passionné par la découverte du monde, Pierre Micheletti a un parcours étonnant. Emploipublic.fr a rencontré ce médecin pas comme les autres. Pied noir d’origine algérienne, la famille de Pierre Micheletti s’est posée à Perpignan, ville où il passe son bac. A Montpellier, il fera médecine. "J’ai aussi travaillé un an en usine, en 1976, ajoute-t-il, pendant mon année sabbatique." Il fera son internat en Chine (Chine populaire en 85, tout un programme !) et une spécialisation en médecine tropicale.

Il devient médecin de santé publique après avoir intégré l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Sourire amusé : "Le médecin qui ne soigne personne, en quelque sorte !"

A la fin de ses études, il (re)part à l’étranger, par goût pour l’action humanitaire, "mon carburant", mais se demande "que faire d’utile, en voyageant ?". Le goût de la rencontre, le contact des gens… l’orientent naturellement vers l’action humanitaire.

Tournées en pirogue

Sa femme est psychiatre, ils sont tous les deux volontaires pour Médecins du monde et partent au Guatemala avec le souvenir de la "culture maya, l’or, les broderies..." Au fin fond du Guatemala, une guerre civile sanglante règne, ils font douze heures de piste avec un bébé de 18 mois, sans eau courante, et restent plus d’un an là-bas dans une zone rurale isolée. Pierre Micheletti forme des agents de santé ; une équipe de 10 personnes pour un immense territoire, avec des "tournées en pirogue, à cheval, en voiture".

"Au bout d’un an, on allait avoir un second enfant". Il est plus prudent de rentrer en France. Ce sera au nord de Béziers (Hérault), pour "un copain qui faisait des remplacements." Cela durera sept ans, "avec toujours un pied dans des missions courtes".

Pierre Micheletti s'investit alors dans des missions humanitaires à travers le monde, notamment en Afrique (Darfour, Rwanda, République du Congo, entre autres), en Asie (Timor, Birmanie, etc.), au Moyen-Orient et Maghreb et en Amérique latine.

Puis, un "copain DG de Médecins du monde" lui apprend que le poste de directeur des programmes est vacant. Il postule et commence à Paris ; "cinq ans sur un rythme endiablé", et un troisième enfant. "On ne voulait pas qu’il soit parisien, on a plus d’affinités avec le monde rural."

Il passe les concours : prépa payante de l’ENA, fonction publique territoriale (FPT, concours médecin), école de santé publique de Rennes : il obtient les 3 concours. Il faut choisir. Ce sera la FPT.

Sauver les centres de santé de la territoriale

Pierre Micheletti découvre la fonction publique territoriale à Grenoble, en tant que directeur du service santé publique et environnementale. Un énorme service. Trois millions d’euros de budget et beaucoup de ramifications : santé scolaire, politique de la ville, vaccinations. "Un poste passionnant, d’autant que Grenoble a une longue histoire en matière de santé publique." Il apprécie le "service rendu " et cette "action immédiatement palpable dans la territoriale".

"A l’époque, les centres de santé allaient mal, avec la tentation d’arrêter". Il se bat, avec de nombreux élus, pour sauvegarder ces centres de santé, installés dans les banlieues dites "sensibles" où "les libéraux ne s’installeraient jamais pour prendre le relais". Un combat, et une victoire, puisque les centres de santé perdureront à Grenoble. C’est là que Pierre Micheletti sera contacté par l’Association de gestion des centres de santé, dont il deviendra le président.

A ce poste, il découvre tout un pan des politiques de santé publiques locales, et des images fortes, comme "le syndrome de Diogène : des personnes isolées chez elles dans des monticules d’immondices".

Le monde des associations locales est aussi une découverte, comme l’exercice de la démocratie de proximité ou le travail des élus, qu’il "admire". "Jamais je ne pourrais faire ça, recevoir une telle violence de l’administré, ce sont des gens qui se démènent, ils se font massacrer en réunion publique. Cela m’a guéri de mon appétence de mandat d’élu local !"

En 2003, Pierre Micheletti sera à l’origine du diplôme "Santé-solidarité-précarité" à la fac de médecine de Grenoble, aujourd’hui proposé par cinq facultés en France.

Les mains dans le cambouis, "mon moteur"

"Moi, j’ai envie d’avoir les mains dans le cambouis", affirme-t- il. Et de transmettre, d’écrire… beaucoup moins de "fantasme de poste de DGA [directeur général adjoint]". L’expérience, sans doute. Le recul. Car, en 2001, lorsqu’il prend son poste à la ville de Grenoble, il ne se doute pas qu’en 2006 il sera président de Médecins du monde. Prendre la gouvernance d’une association pesant 60 millions d’euros, c’est un poste à mi-chemin entre "le politique et l’humanitaire". "Il faut savoir mener des négociations politiques, avoir des réseaux. C’est un métier intellectuellement intéressant, mais si narcissique, il faut le dire."

Désormais, Pierre Micheletti se partage entre "de nombreux mi-temps".

Professeur associé à Sciences Po Grenoble, il dirige le master des organisations gouvernementales et intergouvernementales depuis 2008, quand il quitte la présidence de Médecins du monde.

Il est également médecin de santé publique au centre hospitalier psychiatrique de Saint-Egrève dans l'agglomération grenobloise, au sein du pôle "évaluation".

En 2012, il a aussi pris la présidence de l'AGECSA (Association de gestion des centres de santé), à Grenoble.

Et l’homme qui ne s’arrête jamais n’a pas dit son dernier mot…

Christine Cathiard
Crédit photo : Maxppp 

Bio express

Pierre Micheletti

• Naissance : 28 juillet 1958

• 1985 : internat de médecine générale

• 1987 : rejoint médecins du monde, chef de mission

• 1996 : directeur des programmes de Médecins du monde

• 2006-2009 : présidence de Médecins du monde

• 2009 : professeur associé à l'Institut d'études politiques de Grenoble

• 2012 : présidence de l'AGECSA (Association de gestion des centres de santé)