Chargée de mission au conseil général d’Aquitaine, elle est l’auteure de deux ouvrages qui ont fait des remous au sein de la fonction publique : "Absolument dé-bor-dée" et "Ta carrière est fi-nie".Se nourrissant quasi exclusivement de Chamallows, phobique du téléphone et adepte de la réplique boomerang, Zoé Shepard, alias Aurélie Boullet, 33 ans, n’en est pas moins surdiplômée, sous son air de fille toute simple.Hypokhâgne, khâgne, maîtrise d’histoire éco, Sciences Po et
INET, cette bûcheuse se décrit comme pas plus douée qu’une autre, mais "ayant une grande force de travail". "La prépa, c’est quelque chose que je conseillerais, c’est bien d’être encadré, j’ai progressé en méthodologie. On est encore un bébé quand on sort du bac !"
Le service public dans les gènes
Fille de prof et passionnée d’histoire-géo, Zoé Shepard sait, très jeune, qu’elle sera fonctionnaire. "J’aurais été déshéritée si j’avais fait une prépa HEC." L’ambiance familiale est posée. Les notions d’intérêt général et de service public ne sont pas de vagues concepts, mais bien une culture.De Sciences Po aussi, elle garde un bon souvenir, "de bons profs et intervenants", et pond un mémoire sur les relations entre les chambres régionales des comptes et les collectivités territoriales. Puis l’INET, l’école des futurs administrateurs, à Strasbourg. Des stages, aussi, en collectivités territoriales. Une remarque : "Ce sont des stages avec un directeur de stage, on est hypermotivés, eux aussi ; à la mairie de Bordeaux, j’ai beaucoup appris, mais ce serait bien d’avoir des stages en immersion, avec les collègues cadres B et C, et pas protégés par un directeur…"
Manager, ça s’apprend"Manager, c’est un métier, ça ne s’apprend pas à l’INET, on n’a pas les armes pour être manager. On est généraliste en sortant de l’INET."Embauchée au conseil général d’Aquitaine à l'issue de sa formation, elle a comme mission de "faire de l’évaluation au sein d’un service". Un poste qui se transforme rapidement : "Je me suis retrouvée à faire de la veille juridique, au sein d’un service relations internationales." Une sorte de chef de mission volant, un extraterrestre dans sa soucoupe, se posant de service en service.Elle commence à "réclamer du boulot", puis entame un blog pour raconter la vie d’un haut fonctionnaire qui se retrouve chargée de mission, avec peu de reconnaissance, des notes miraculeusement signées par d’autres, des petites mesquineries. "Quelqu’un m'a dit, en août 2008 : écris un bouquin !" En octobre, elle est "placardisée". "Très peu de boulot et cordon sanitaire." "C’était dur, je rentrais chez moi et j’écrivais le soir…". Quand le livre sort ("Absolument dé-bor-dée !"), en 2010, l’extraterrestre est toujours dans son placard, sans savoir quel est le problème.
400 000 exemplaires vendusLe livre fait un tabac : 400 000 exemplaires vendus. Un collègue "reconnaît son style". Elle fait des radios et reçoit une "armée de messages anonymes d’administrateurs territoriaux". Convoquée chez son
DGS, elle est suspendue. Réaction ? "Prendre un avocat…et commencer à écrire le tome 2".Résultat : huit mois de suspension et un tome 2 ("Ta carrière est fi-nie", écrit de juillet à décembre), avec moult descriptions de ce que peuvent vivre les "placardisés" : absence de travail, réunions où l’on n’est plus invités et autres réjouissances. "On me disait que je n’étais
pas dans la bonne vibe". On en rit. Pas longtemps. Le ridicule vire au tragicomique. Même si les personnages de ses livres ne sont que des "caricatures, des morceaux pris ici et là pour construire des personnages", on ne peut s’empêcher d'identifier dans ce récit au second degré des situations que nous avons tous vécues… Comme cette DRH qui accueille l’héroïne d’un "je vais établir avec vous un contact humain détendu et me mettre en position d’écoute active pour vous permettre d’échanger avec moi".Langues de bois, poncifs, absurdités de la vie quotidienne, bêtise humaine poussée à l’extrême…, dans ce deuxième opus des aventures de "Coconne l’assistante "et "Simplet le chef de service", on ne peut que ricaner, en espérant qu’il ne s’agit pas de nous.Après huit mois de suspension, le soulagement, car "quelqu’un m’accepte dans son service". Un service d’une personne, qui devient donc un service de deux personnes."Une personne formidable, pleine de bonnes idées, et qui me file du boulot". Zoé Shepard est aujourd’hui occupée et heureuse de l’être. Son job : chercher des cofinancements pour des projets régionaux, même si "je ne fais pas beaucoup de réunions, faut dire ce qui est".
INET : Institut national des études territoriales
DGS : directeur général des servicesChristine Cathiard
SANCTION CONFIRMEE EN JUSTICELe tribunal administratif de Bordeaux a rejeté, le 31 décembre 2012, la demande d'Aurélie Boullet qui réclamait l'annulation de sa suspension temporaire, infligée par le conseil régional d'Aquitaine après la publication en 2010 de son pamphlet sur la fonction publique, "Absolument dé-bor-dée!". Le tribunal a par ailleurs condamné la jeune femme à verser 1.200 euros de frais de justice à la région Aquitaine.
LES LIVRES D'AURELIE BOULLET• "Absolument dé-bor-dée ! ou le paradoxe du fonctionnaire - Comment faire les 35 heures en... un mois !", Albin Michel, mars 2010, 304 p.
•"Ta carrière est fi-nie !", Albin Michel, septembre 2012, 212 p.